Ce jour là était un dimanche tout à fait habituel pour la famille Richardson. Norah, unique enfant le Philip et Lynn devait retrouver ses parents au bas des marches de la somptueuse église au creux de laquelle ils expiaient, chaque fin de semaine, par la prière, les pêchés accumulés en silence et dans le plus grand secret, sous leurs chevelures blondes et soyeuses. Mais ce jour-ci, Mademoiselle Norah Lou-Ann Richardson s’était levée, dans ses grands appartements, d’humeur à la contradiction. Elle désirait un changement. Significatif ou minime, peur lui importait, elle voulait juste briser les habitudes soit disant pieuses de sa famille. A quoi rimait-il de se voiler la face ? Chacun savait que tous ces petits bourgeois, rougeauds et bien en chair, ne s’entassaient aux pieds des crucifix que parce qu’il était bien vu de prier avec ferveur. L’orgueil et la fierté de Norah étaient sévèrement opprimés dans ces réunions sectaires et inutiles. Norah croyait en Dieu plus par habitude que par réel choix et se mêler à la peuplade puante et hypocrite des bien-pensants d’Angleterre lui déplaisait au plus haut point. Elle pouvait parfaitement prier seule, si cela lui chantait et n’avait aucunement besoin de s’entasser au bas de la chair, des dizaines d’yeux pas le moins du monde amicaux posés sur elle et sa famille.
Norah avait l’habitude qu’on la regarde, ce n’était absolument pas cela qui la dérangeait. Mais elle était comme cela. Trop gâtée, trop habituée à décider, trop changeante. Son caprice du jour était de s’exempter de messe et elle ne ferait aucun effort. Elle avait appris de son père que personne ne commandait les Richardson et elle mettait à profit son éducation.
Pour ce qui était de son père, elle savait qu’il serait hors de lui. Mais il était un homme bien trop respectable pour crier et s’énerver. Elle n’avait pas peur. Pas du tout.
Elle s’était donc levée et apprêtée mais ne s’était pas dirigée vers l’église, mais bien vers Charing Cross. Elle aimait à passer du temps dans ces rues souvent peuplées et animées. Chacun sait que l’ennui est la bête noire des ladies. Et, pour une fois, Norah n’échappait pas à la règle. Son plus grand souhait était de se divertir. Etre constamment dans l’amusement et la lumière.
Comme à son habitude, la jeune blonde affichait cet étrange sourire faux et dédaigneux qui ne la quittait jamais dès lors qu’elle passait le majestueux pas de sa porte, lorsqu’elle posa son élégant arrière train sur l’un des jolis tabourets du café qu’elle avait l’habitude de fréquenter. Les apparences, n’est-ce pas ? Belle et toujours heureuse, c’était ce que Norah s’acharnait à faire paraître. Et elle y parvenait à merveille. Personne ne savait ce que pensait Norah. Fort heureusement, d’ailleurs.
Norah ne buvait ni café ni thé. Juste de l’eau chaude et du citron avec un peu de sucre. Elle sirotait tranquillement cette habituelle décoction lorsqu’un mouvement et des paroles, à ses côtés attirèrent son attention. Une jeune femme, à sa droite, se retrouvait, par la maladresse d’une serveuse incompétente, tâchée de moka.
- Comme quoi, ces incidents n’arrivent pas qu’aux autres.
Glissa-t-elle en riant à l’intention de la jolie brune.